L’effet placebo

L’effet placebo est un phénomène intrigant qui intéresse beaucoup les spécialistes de la psychologie et des neurosciences. Il se produit quand un faux traitement, comme un comprimé de sucre ou une injection saline, améliore les symptômes chez un patient qui pense avoir reçu un traitement actif. Même s’il a été largement étudié depuis des années, l’effet placebo suscite encore de nombreuses questions sur ses mécanismes d’action complexes et ses éventuelles utilisations thérapeutiques (1).

Définitions et terminologie de l’effet placebo

Avant de parler de l’effet placebo, il est important de bien comprendre les termes utilisés :

Un placebo est une substance ou une procédure inactive qui n’a pas d’effets spécifiques sur le problème ou les symptômes à traiter (2).
L’effet placebo désigne tous les effets physiologiques ou psychologiques provoqués par l’administration d’un placebo, et non par les propriétés pharmacologiques du placebo lui-même (3).
La réponse placebo correspond aux changements observés chez un patient (douleur, pression artérielle, sécrétions hormonales, etc.) après avoir reçu un placebo (4).
L’effet nocebo est l’effet contraire, lorsque le placebo aggrave les symptômes (5).

Il est essentiel de bien différencier ces termes pour comprendre pleinement le phénomène complexe de l’effet placebo.

Historique de la découverte de l’effet placebo

L’effet placebo a été découvert au 18ème siècle, mais c’est surtout à partir des années 1950 qu’il a commencé à être étudié de manière systématique.

Les premiers constats

Dès 1785, le physicien britannique John Haygarth a observé que le « Perkinisme », une thérapie consistant à utiliser des barres de métal pour traiter les rhumatismes, avait des effets étonnants sur les patients. Il a démontré que ces effets persistaient même lorsque les barres de métal étaient remplacées par de simples barres de bois, ce qui mettait en évidence la puissance de l’imagination sur les symptômes (7).
En 1807, le président américain Thomas Jefferson a noté que les médecins utilisaient plus de placebos que de vrais médicaments (8). Le terme « placebo », qui vient du latin « je plairai », est apparu dès 1811 pour désigner des traitements factices (9).

Les études pionnières de Beecher

Au 20ème siècle, l’effet placebo a été étudié plus en profondeur. En 1955, le médecin anesthésiste américain Henry Beecher a publié un article révélateur indiquant que 35% des patients ressentaient un soulagement de leur douleur après avoir reçu une injection d’une solution saline (10). Il a été le premier à mesurer la force de l’effet placebo. Beecher a soupçonné que ce phénomène reposait principalement sur la confiance des patients envers le médecin et l’acte thérapeutique. Ses travaux ont encouragé de nombreuses recherches visant à décrypter les mécanismes neurobiologiques de l’effet placebo (11).

Mécanismes de l’effet placebo

Les mécanismes de l’effet placebo restent encore mal compris malgré de nombreuses années de recherche. Ils impliquent des processus à la fois psychologiques et neurobiologiques, ce qui les rend complexes.

Attentes et conditionnement

Le rôle des attentes du patient est très important. Si le patient s’attend à ce qu’un traitement soulage ses symptômes, il est plus susceptible de ressentir une amélioration, même avec une pilule qui ne contient pas de médicament actif. Cet effet placebo lié aux attentes mentales a été démontré de manière convaincante en 1995 par l’équipe de Kirsch (12). Les expériences passées peuvent également influencer les attentes; par exemple, avoir pris un analgésique efficace par le passé peut activer l’effet placebo pour soulager la douleur avec une pilule sans substance active. Ce processus a été étudié en particulier par Price et al. en 2008 (13). D’autres formes d’apprentissage, telles que l’apprentissage social ou vicariant, peuvent également susciter des attentes et influer sur l’effet placebo, comme l’a montré Colloca en 2009 (14).

Facteurs cognitifs et émotionnels

Au-delà des attentes, des pensées plus complexes peuvent influencer l’effet placebo, comme l’interprétation cognitive des symptômes. Par exemple, la façon dont on perçoit la douleur peut être changée par l’anticipation du soulagement. L’effet placebo peut également réduire l’anxiété et le stress, comme démontré dans une étude de Bootzin en 1993 (15).

Mécanismes neurobiologiques

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Réponses physiologiques

Les placebos peuvent provoquer des changements physiologiques mesurables. Par exemple, la pression artérielle, la fréquence cardiaque ou l’activité du système immunitaire peuvent être modifiées, comme l’ont montré de nombreuses études (19,20). Ces réponses sont principalement sous le contrôle du système nerveux autonome.
Ainsi, l’effet placebo repose sur des éléments à la fois psychologiques et neurobiologiques. Leurs interactions complexes restent encore à élucider.

Facteurs modulant l’effet placebo

L’effet placebo : mécanismes physiologique, utilisations et limites

Les personnes réagissent différemment aux placebos. Plusieurs facteurs influencent la réaction au placebo.

Caractéristiques individuelles

Certains traits de personnalité, comme l’optimisme, la suggestibilité ou la crédulité, peuvent influencer la sensibilité au placebo. Par exemple, selon Geers en 2005 (21), ces traits augmentent l’effet placebo. À l’inverse, l’anxiété et le pessimisme renforcent l’effet nocebo.
Les expériences passées du patient, son historique médical, ses croyances et des facteurs génétiques peuvent également moduler sa réponse au placebo, comme l’ont montré plusieurs études (22,23).

Type de symptômes

Certains symptômes sont plus sensibles à l’effet placebo que d’autres. La douleur, la fatigue, l’anxiété et la dépression répondent généralement fortement au placebo. En revanche, l’effet semble plus limité sur d’autres symptômes tels que les nausées ou les troubles gastro-intestinaux (24).

Modalités d’administration du placebo

L’effet placebo dépend aussi des caractéristiques du placebo et du rituel d’administration. Par exemple, les placebos injectables semblent plus efficaces que les comprimés, et les gros comprimés sont plus actifs que les petits, comme l’ont montré plusieurs études (25,26).

La façon dont le placebo est donné peut influencer son efficacité. La relation entre le médecin et le patient, la crédibilité du thérapeute et les signes subtils envoyés par le praticien peuvent renforcer l’effet placebo, comme l’a montré Kaptchuk (27).

Applications thérapeutiques des placebos

L’utilisation des placebos en médecine soulève des questions éthiques, mais certains chercheurs ont proposé des applications thérapeutiques sous certaines conditions.

Potentialiser l’efficacité des traitements actifs

L’effet placebo peut renforcer et prolonger les effets antidouleur des opioïdes tels que la morphine. En communiquant de manière positive, les praticiens pourraient tirer parti de l’effet placebo pour réduire les doses de médicaments et atténuer certains effets secondaires.

Sevrage des médicaments

Chez les patients qui prennent régulièrement des opiacés pour soulager la douleur, le remplacement progressif par un placebo peut aider à diminuer les doses d’opiacés et faciliter le sevrage, comme l’a montré l’équipe de Amanzio en 2001 (29).

Troubles fonctionnels

Un placebo pourrait parfois aider à soulager les symptômes de troubles tels que l’insomnie, la fatigue chronique ou la dépression légère, en complément d’un soutien psychosocial approprié. Cependant, des études cliniques rigoureuses sont encore nécessaires pour confirmer cette approche.

Limites et controverses sur l’usage clinique des placebos

L’utilisation de placebos en thérapie suscite beaucoup de débats, malgré son intérêt scientifique et clinique.

Efficacité inconstante et limitée

L’effet placebo varie beaucoup d’une personne à l’autre et ne dure généralement pas longtemps. Il ne peut pas guérir ou modifier des maladies organiques sous-jacentes. Son utilité clinique est donc limitée à certains symptômes, sous réserve de recherches approfondies (31).

Mécanismes partiellement élucidés

Les mécanismes cérébraux de l’effet placebo restent encore peu compris, même si des progrès significatifs ont été réalisés. Ces mécanismes sont susceptibles de varier en fonction des maladies et des symptômes visés (32).

Questions éthiques

L’utilisation de placebos en clinique sans le consentement éclairé des patients est très controversée. Les avantages et les risques ne sont pas clairement établis. Des études à long terme sur de grands groupes de personnes sont nécessaires pour évaluer l’équilibre entre les avantages et les risques (33).

Risque d’abus et charlatanisme

Certains auteurs s’inquiètent que la promotion de l’effet placebo puisse être utilisée pour justifier des pratiques magiques ou trompeuses, ou pour diminuer l’importance des traitements médicamenteux actifs (34).
Ces critiques mettent en avant la nécessité d’encadrer strictement l’utilisation des placebos en milieu clinique et de poursuivre les recherches sur leur réelle utilité thérapeutique.

Perspectives de recherche sur l’effet placebo

L’effet placebo est toujours un sujet de recherche important, malgré les débats en cours. Diverses pistes prometteuses sont actuellement explorées.

Compréhension des mécanismes

Comprendre comment le cerveau influence la perception des symptômes à travers l’effet placebo nécessite une meilleure caractérisation de ses bases neurobiologiques. L’utilisation de l’imagerie cérébrale et les études pharmacologiques sur les animaux jouent un rôle essentiel dans cette compréhension (35).

Facteurs prédictifs de réponses

Trouver des signes psychologiques ou biologiques qui peuvent prédire la réponse au placebo pourrait aider à choisir les patients qui pourraient bénéficier de l’effet placebo en complément des traitements traditionnels. Des études en pharmacogénétique montrent des résultats encourageants (36).

Applications thérapeutiques

Il est important de mener des études cliniques rigoureuses pour évaluer l’utilisation des placebos en complément des traitements actifs dans diverses maladies, ainsi que pour évaluer les risques potentiels à long terme (37).

Conclusion

L’effet placebo est un phénomène complexe qui fait intervenir des facteurs à la fois psychologiques et neurobiologiques. Bien que prometteuses, les applications thérapeutiques des placebos soulèvent des questions éthiques et restent à confirmer scientifiquement. Mieux comprendre les mécanismes de l’effet placebo pourrait permettre d’optimiser les traitements conventionnels. Cependant, cette recherche stimulante nécessite de respecter un cadre éthique rigoureux et d’éviter les abus hors du cadre scientifique.

Références:

Les effets placebo sont étudiés dans plusieurs articles scientifiques : Finniss et al. Biological, clinical, and ethical advances of placebo effects. Lancet. 2010.
Miller et al. Placebo effect: clinical perspectives and potential mechanisms. JAMA. 2013.
Benedetti et al. Placebo effects: understanding the mechanisms in health and disease. Lancet. 2005.
Price et al. Placebo analgesia is accompanied by large reductions in pain-related brain activity in irritable bowel syndrome patients. Pain. 2007.
Colloca & Miller. How placebo responses are formed: a learning perspective. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci. 2011.
Schedlowski et al. Neuro-bio-behavioral mechanisms of placebo and nocebo responses: implications for clinical trials and clinical practice. Pharmacol Rev. 2015.
Kaptchuk et al. Placebos without deception: a randomized controlled trial in irritable bowel syndrome. PLoS One. 2010.
Finniss et al. Placebo effects: biological, clinical and ethical advances. Lancet. 2010.
Benedetti et al. Conscious expectation and unconscious conditioning in analgesic, motor, and hormonal placebo/nocebo responses. J Neurosci. 2003.

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